Le chant du bonheur.

Introduction à la poésie d’Antoinette Deshoulières

L’ombre de Dieu

On peut lire parmi les œuvres d’Antoinette Deshoulières toute une série de pièces liées à des degrés divers au sacré.

  • Pièces religieuses
    • Ode,”Hélas, Seigneur, quel est l’effet…” (composée 1686, pub. 1688),  prière personnelle dans la maladie, adressée au Créateur “ O toi, l’auteur de l’Univers… “).
    • “Prière pour le Roi” (1687)
    • Paraphrases de Psaumes (composées 1693, pub. 1695) : Psaumes XII, XIII, CXLIV dans la numérotation de la Vulgate
  • Pièces politico-religieuses
    • “Au Roi, sur la révocation de l’édit de Nantes” (composée 1685, pub. 1688), dans laquelle Deshoulières procède à l’ éloge de la politique religieuse (contre l’hérésie, en faveur de la défense du ”parti des Cieux”).
  • Adresses à des ecclésiastiques
    • Épître à M. Fléchier (1688).
    • “Épître chagrine” au Père de La Chaise, confesseur du Roi (1692).
    • Au Révérend Père Bouhours sur son livre de l’Art de bien penser (mentionné à 1687 ; impr. 1747)
    • À M. l’abbé de Lavau (1692).
    • Épître à M. de Mascaron, évêque de Tulle puis d’Agen (pièce de 1672/79).
  • Mentions lexicales
    • Portrait de M. de Lignières (1659): “ articles de Foi”,”Épicure”, “Nouveau Testament”,” Grâce”, ”heure de la mort”.

Calendrier liturgique et sociabilité dévote

  • “À M. le marquis de Marcilly pour le jour de la Saint Louis” (1690, impr. 1695).
  • Divers rondeaux ou airs à des abbés (p. ex. Chanson sur M. l’abbé Testu).

Pièces dont le registre est para-religieux ou moral (tombeaux, thème de la mort,  au-delà)

    • Réflexions diverses, “Que l’Homme connaît peu la mort qu’il appréhende” (1688).
    • Réflexions diverses, “Homme, contre la mort, quoi que l’art te promette” (pub. 1695).
    • Idylle “Tombeau, dont la vue empoisonne” (pub. 1695).
    • “Sur la mort de M. le duc de Montausier”, idylle (1690).

Allusions diverses

    • Ballade, “À l’une de ses filles qui fut depuis religieuse” (composée 1679 ?, pub. 1688)
    • “Épître à Mme de Maintenon” (1688), dans le contexte dévot de Saint-Cyr.

La présence de pièces sacrées dans les recueils de Deshoulières  ne surprend pas plus que celle de panégyriques.  Ce mélange des formes profanes et sacrées participait d’une variété tenue pour une qualité essentielle de ce type d’ouvrages; les poésies de Malherbe présentaient déjà cette hybridation. Par ailleurs, les arguments précédemment développés pour justifier la poésie encomiastique s’appliquent également à la poésie sacrée : il fallait que Deshoulières s’y confronte et s’y distingue pour apparaître comme une poétesse de premier plan.

Mais les difficultés posées par la poésie religieuse ne sont pas moins sérieuses que celles que présente la poésie encomiastique : Comment chanter le Dieu chrétien sans trahir son allégeance à Épicure  ? Comment moduler les accents de la lyre sacrée sans rupture de ton avec les idylles, les pastorales et le reste du recueil ? Là encore, Deshoulières va développer des stratégies originales sur le fil du rasoir, pour se conformer aux lois du genre sans sacrifier à la cohérence de son écriture — mais aussi, par-delà les enjeux strictement stratégiques, pour développer une voie poétique susceptible d’harmoniser poétique mondaine, philosophie du Jardin et foi chrétienne.